Le départ de Gurtek.
Personne ne recevrait de lettre pour en être informé.
Personne ne l’entendrait même dire de sa bouche ou de celle de qui que ce soit.
Le départ de Gurtek se fit suite à son combat avec Wruntak.
On le vit se porter jusqu’à sa monture, y monter lourdement et partir, le dos courbé, tel un animal blessé.
Certains pouvaient entendre ce qu’il se répétait sans cesse, en quittant les lieux du combat;<<Purfoas fuite muner au combat, purfoas fuite muner au combat...>>, tentant de se convaincre que l’assaut, qu’il favorisait en tout temps et en toute circonstance, n’était, parfois, pas le seul moyen de remporter la bataille.
En fait, pour ce jeune gorlak qui n’avait une arme entre les mains que depuis une saison seulement, l’assaut n’avait jamais conduis à la victoire.
Tous ceux auxquels il avait été confronté lui avaient infligé la défaite et pourtant jamais il n’accepta de s’éclipser, ne s’inclinant qu’une fois la supériorité de son opposant démontrée, et toujours il se montra aussi prompt et ardent au combat.
Ainsi, ce qui aurait pu être perçu comme un signe de faiblesse au sein de la Horde – quelqu’un qui se faisait sans cesse mettre au sol par ses congénères – était en fait dû à son incroyable force de caractère, et c’est ce qu’avait déceler le grand archi-chaman Rek’thar lors de leur rencontre, et c’est aussi ce pourquoi des gorlaks cent fois plus rusés que lui cherchaient à s’allier avec lui.
L’archi-chaman, en plaçant sa main sur son crâne, ne s’était pas trompé en lui prédisant un grand avenir.
Mais cet avenir, de par cette rencontre avec le protecteur chamanique, venait de changer de A à Z.
En s’éveillant sur le sol, grandement blessé et les esprits plus ou moins au clair, le gorlak avait compris qu’il n’avait pas sa place au sein de la Horde.
Ce qui est écris ici, c’est moi, le Narrateur, qui le doit supposé. Car de telles réflexions ne sont pas du ressort d’un gorlak tel que Gurtek, mais qu’il faut, pourtant, bien le comprendre.
Gurtek n’est pas au courant, mais il n’a que 14 ans.
À 12 ans, il avait atteins son poids et sa taille adulte et, la saison dernière, il reçut enfin les armes des mains du chaman et commit son tout premier forfait, comme le voulait la tradition gorlak.
Il était à présent un adulte de corps et d’esprit au sein de son peuple.
Mais il ne s’agissait encore que d’un enfant, un enfant-guerrier élevé, depuis son plus jeune âge, dans un combat qui n’en finissait jamais, un combat pour sa propre survie.
Malheureusement pour lui, jamais, dans tout cela, il n’apprit à faire la distinction entre un gorlak qui peut lui donner des ordres et un qui ne le peut pas.
Toujours, on lui apprit d’être fier, de se lancer au combat sans la moindre peur, de se battre pour un dabou ou pour un douba.
Toujours, on lui apprit ce qu’était la guerre, et rapidement il connut la mort, mais jamais on ne lui apprit ce qu’était la vie.
La vie en société au sein des gorlaks.
Et c’est pourquoi il en était là, aujourd’hui.
À l’âge où il était rendu, l’on demandait aux gorlaks d’être sage, de se soumettre en tout temps, d’écouter, de patienter, d’être calme, d’obéir.
Toutes ces choses, Gurtek ne les entendait pas.
Toutes ces choses n’étaient pas bonnes pour lui. Lui, il fallait lui demander de se battre, lui demander de se révolter, de se déchaîner, de crier, de courir, de voler, de piller, de manger, de boire et de forniquer, de tuer, massacrer, d’écarteler, de trancher, broyer, écraser!!!...
Mais aucunes de ces choses n’étaient à faire à Luk’maar…
Alors Gurtek partit sans rien dire à personne et sans, probablement, que personne ne s’en aperçoive.
Il ne pensa à rien, car il n’avait pas l’habitude de réfléchir pour rien.
Il chevaucha jusqu’à ce qu’il ne le puisse plus, puis tomba, inconscient, de sa monture. Il resta là, au seuil de la mort.
Une seule idée occupait son esprit et le maintenait en vie; la vengeance.
S’il avait fuis ce jour-là, se disait-il, c’était pour mieux revenir et le jour où il reviendrait à Luk’maar...