*Enfermé dans une cellule à haute sécurité. Les poignets, les chevilles et même la nuque liés à d’épaisses chaînes d’acier. Grom, de son vrai nom Gromnash, croupissait dans les geôles hastanes depuis maintenant près de dix ans. Dix longues années cloîtré entre quatre murs dans la noirceur la plus totale. Dans l’humidité étouffante l’été et frigorifiante l’hiver d’une cellule à peine assez grande pour lui. Nourris d’une infecte bouillie d’avoine et confiné à l’inactivité la plus complète, le Gorlak, pourtant, semblait ne jamais vouloir dépérir. En effet, après tant d’années passées derrière les barreaux, Grom, du haut de ses sept pieds et un pouce très exactement, quoi que ses cotes et le creux de ses joues se fussent creusés légèrement et que ses bras perdirent quelques pouces, ne s’était départis que d’à peine une dizaine de ses 395 livres. Les trois légionnaires, qui le nourrissaient et se devaient de le surveiller en permanence, ne cessaient de s’étonner de sa stupéfiante vigueur et de cet entêtement effarant avec lequel les forces de cette bête énorme se refusaient à l’abandonner. Lentement, vieillissant avec lui au fil des années, ils en vinrent même jusqu’à éprouver une sorte d’indifférence, si ce n’est de respect, face à leur monstrueux prisonnier. Un soir, cela était dans sa toute première année de captivité, alors que ses geôliers discutaient dans la pièce adjacente, on posa à Grom une question à laquelle il répondit franchement. Parce qu’ils en étaient venu à se parler de leurs enfants respectifs, l’un d’eux demanda, amusé :*
Dis donc, Gorlak, as-tu quelques immondes progénitures pour pleurer ton absence, là-bas, à Luk’maar?
*Et à Grom de répondre, de sa grosse voix grave et gutturale :*
Douba ù ce que Grom suche…
*Et c’est ainsi qu’après un bref moment de silence, la voix du gardien retentit à nouveau et le questionna:*
Je suis curieux. Saurais-tu me dire quel âge as-tu?
*Et c’est alors qu’on entendit un soupire qui aurait très bien pu être celui d’un puissant dragon, quand soudain, la triste voix de ténor lâcha simplement :*
13 ans.
*Bien sûr, les gardes s’esclaffèrent, croyant Grom trop stupide pour se souvenir de son âge véritable, et pourtant... 13 ans, était-ce possible pour un Gorlak de sa proportion? Possible, peut-être, mais assurément exceptionnelle. Quoi qu’il en soit, les années passèrent et, bien qu’il fût d’apparence calme et sereine, ou plutôt insipide et végétatif, le colosse n’en bouillait pas moins de rage à l’intérieur. Si bien qu’on eut pu le sentir dans l’atmosphère de sa cellule, comme si de la vapeur s’échappait de tous les pores de sa peau; sa terrible colère emplissant l’étroite pièce et devenant respirable, voire presque palpable. Jusqu’à ce qu’un jour, égaré parmi une multitude d’autres, ne se produise quelque chose d’étrange. Que Grom, après tant d’années, commença à entendre des voix imaginaires, cela n’était étrange en rien. Mais qu’il pût entendre des voix, autres que celles de ses geôliers, qui existassent véritablement. Cela, sans l’ombre d’un doute, avait quelque chose d’assez extraordinaire. En effet, du plus profond des enfers, nourris par la haine, la colère, la détresse et tout ce qu’il y a de plus mauvais en ce monde, toute la rage et l’énergie négative contenue dans la petite cellule du Gorlak finirent par être remarqués, attirant l’attention de ce que les sages appellent : un Diaboliste, mais que Grom ne connut jamais autrement que sous le nom de Ragsnar. La première fois que Ragsnar lui ''apparut'', ce n’était que pour lui chuchoter quelques brèves paroles rassurantes dans le noir.*
Patiente encore, mon ami… Patiente encore…
*Disait le Diaboliste et, tout au long de nombreuses années :*
Patiente… Je suis là, tout près mon ami… Patiente…
*Et puis, après presque six ans, Ragsnar lui apparut sous la forme d’un insecte : un scarabée. Il commença alors à évoquer le ''Général'', qu’il appelait aussi ''Delioth'' et même, ''le Tyran''. Il lui murmura de longues heures durant qu’il avait été choisi, qu’il était l'''Élu'', que le Général voulait faire de lui son fidèle Capitaine et qu’ils règneraient sur les enfers jusqu’à, finalement, s’emparer de Teilia toute entière. Il emplit l’esprit de Gromnash de rêves de liberté, qui comprenaient de grandes promesses de pouvoir et de vengeance. Tant et si bien que l’esprit résigné du Gorlak finit par s’éveiller avec une force ahurissante, tandis que ses geôliers, après maintenant plus de neuf ans, devenaient de moins en moins vigilants. En effet, les légionnaires, jadis vaillants et droits, étaient devenus paresseux et, plutôt que d’assurer la garde à trois, se relayaient l’un à la suite de l’autre. Et Grom nota que, la nuit, l’un des trois, son tour de garde venu, après quelques minutes seulement, se mettait à ronfler… Mais il attendit, encore et encore comme le lui prescrivait la douce voix de Ragsnar. Jusqu’à ce qu’un jour, celui-là même qui avait l’habitude de dormir alla jusqu’à se permettre une écartade qu’aucun des deux autres, malgré leurs esprits ensommeillés, ne se seraient permis… Quittant son poste, il maugréa, et Grom l’entendit :*
Bah! Un petit quart d’heure… Qu’es-ce qu’il peut bien arriver… Cette grosse bestiole est morte depuis des années…
*Le scarabée voletant sous les yeux du Gorlak, l’exhorta comme jamais il l’avait fais auparavant. Il le pressa plus violemment que Grom ne l’avait jamais été en dix année d’incarcération et ceci eut pour effet de faire paniquer le géant vert, éveillant par le fait même toute cette immense montagne de muscles inutilisés qu’il laissait mollement traîné par terre, ployant sous le poids des chaînes. L’immensité se redressa, chose qu’elle n’avait faite depuis près d’une décennie. Ses chaînes cliquetèrent et il émit un feulement sauvage.*
Libères-toi mon ami! Tu le peux! Tu le peux!! Libères-toi de ces chaînes qui t’entravent depuis si longtemps!! Va, notre glorieux général t’attend!! Le Tyran te veut à ses cotés!! Comme bras-droit!! Oui!! Oui!!