Pardonnez chez lecteur, la longueur de ce récit que je m’efforce de faire aussi court que possible tout en expliquant les raisons qui ont pu permettre la venue de cet être peu ordinaire, dont certains vous diront qu’il n’aurait pas du avoir le droit de vivre, comme notre héros.
De grosses gouttes de pluies tombaient sur le toit en peau la chaumière d’Armgoml, lui remémorant le son des tambours battants de la dernière grande mêlée à laquelle il avait participé. Chaque année comme la plupart de ses congénères il tente de devenir le grand champion de la Horde des Forts mais sans succès.
A chaque fois, durant ces combats violents résonne la phrase que son père lui avait dite lors de leur premier et dernier duel :
« Peuh ! Tu utrr et restura un Grunt du deuxième classe ! »
Et son courage commence à fondre, ses bras perdent de leur force, le menant peu à peu vers sa défaite et réalisant ainsi la prédiction de son père.
Mais aujourd’hui, une grande fierté grandit en lui au son des cris de sa femme, fatiguée par le difficile accouchement d’une belle, et surtout importante, portée. Le 4ème rejeton d’Armgoml venait de sortir des entrailles de sa femme, le 3ème fils !
Habituellement, les Gorlaks sont peu intéressés par la naissance de leurs enfants, mais Armgoml était différent. Ses propres échecs l’avait conduit à placer dans sa progéniture tous les espoirs qu’il avait abandonné. Il s’était même occupé lui-même d’égorger la brebis qui apporterait le sang chaud nécessaire au rituel de la naissance.
La petite chaumière était composée de 2 pièces, 3 en comptant les latrines. Le chaman et la femme s’occupait à leur affaire dans la chambre pendant qu’Armgoml s’impatientait de nommer sa progéniture dans la pièce principale. Après un temps définitivement trop long pour quelqu’un comme lui (Armgoml supportait mal l’inaction), le chaman l’appela enfin et il les rejoignit, apportant avec lui la lumière d’une torche. Le chaman respectueux des principes de Narshoul avait imposé que les bébés naissent dans l’ombre et ne voient la lumière qu’après le baptême au sang de brebis.
« Une belle portée Armgoml, vuillants et robustes, même la fille ! » annonça le chaman.
Un large sourire se dessina sur le visage du père, dévoilant ses redoutables canines, quand soudain, sa femme se remit à gémir : « Su douba fini ! » s’exclama t’elle.
Même le chaman, malgré le grand nombre de naissance auxquelles il avait participé, en fut très surpris car les cas de portées dépassant 4 enfants étaient rarissimes et plus qu’improbables chez les Gorlaks. Armgoml, porteur de la lumière dut ressortir et le travail repris quelques minutes plus tard.
Ainsi naquit le 4ème fils.
Le chaman versa sur lui le peu de sang chaud qui lui restait en grommelant et rappela le père. De retour, Armgoml regarda le bébé braillant dans la bassine avec un air bien moins joyeux que quelques minutes auparavant. A l'inverse du reste de la portée, il était chétif et frêle et le corps semblait un peu difforme.
Songeur, le chaman voyant qu’Armgoml ne réagissait pas, fini par lui parler comme s’il lui avait posé la question :
« Dabou ! Celui-ci utrr pur sacrifice Armgoml ! Brr.. Bon à jeter »
En effet, n’importe quel Gorlak l’aurait donné en pâture à quelques bêtes sauvages. Il était clair que cet enfant manquait de robustesse et de force. Il ne savait pas trop si c’était la tête qui était trop grosse ou le reste du corps qui était trop petit, mais ses petits membres étaient de toute façon trop potelés et pas assez musclés. Même la fille était plus large. Placés sur le lit les uns à côté des autres, sa petitesse dénotait davantage encore face aux autres enfants si réussis.
Mais Armgoml n'était pas comme les autres Gorlaks et au moment de prononcer la sentence, il observa plus attentivement le bébé.
La forme du visage était étonnante, le front était plus fuyant que de coutume, dénotant bien qu’il l’ignore la présence d’une solidité osseuse moins importante, et la mâchoire semblait pour la même raison plus proéminente. Fixant les yeux du bébé, il remarqua une couleur ambrée, semblable à ces redoutables loups des steppes du Nord. Il se dit alors qu’il avait engendré un fils frêle, certes, mais qui avait une tête de loup.
Peut être cherchait-il une excuse pour augmenter ses chances d’avoir un fils prodigue, ou peut être était ce véritablement cette étrange lueur froide dans les yeux de l’enfant, mais après une légère hésitation, il répliqua :
« Douba. Loufrul sera son nom ! Elle utrr Oukha, lui Alrutr, Grobit et UmmFor ! »
***
Le choix d’Armgoml fut mal perçu du reste de son peuple, et en particulier des chamans. Selon la religion des Gorlaks, celle de Narshoul leur créateur, les êtres imparfaits devaient être sacrifiés à la naissance. Mais ils acceptèrent son choix, puisque le bébé n’avait à proprement parlé aucune infirmité et semblait juste moins corpulent que de coutume. La malformation du crâne était peu importante, un non Gorlak ne s’en rendrait sans doute même pas compte.
Armgoml fut un père attentif à l’évolution de ses fils, il ne cessait de les inciter à se battre entre eux, et les entraina dès leur plus jeune âge leur enseignant les principes Gorlaks à grand renforts de coups violents destinés à les rendre plus résistants. Mais il mourut au combat alors que les petits n’avaient que 5 ans, et la mère laissée à elle-même fut récupérée comme butin par un Grunt de 1ère classe nommé Rarkmar qui avait déjà 4 femmes, et 12 enfants.
La vie de Loufrul cette année là se compliqua sérieusement. Les autres enfants de Rarkmar et ses propres frères et sœurs se rallièrent pour faire de lui leur petit sous fifre, souvent maltraité, à qui était attribué les basses besognes, et qui était laissé de côté lors de leurs jeux de force.
Un jour qu’il était parti près des berges du lac de sang, il entendit la discussion de deux chamans qui, l'apercevant, commencèrent à disserter sans chercher à se dissimuler sur les raisons de son anatomie.
« Le père utrr stupide de garder celui-ci ! s’exclama l’un d’entre eux
- Douba ! les autres lui ont pas lussé assé de place dans le ventre de la femelle pour sur. Ca plus avoar ussez de place pour se duvulopper. 5 utrr 1 de trop.
- Grakol dire ca utrr puisque finit à la pisse.
- Pfff.. On peut douba pisser si on ensumence. »
Loufrul grandit donc avec l’idée que ses frères et sœurs lui avaient ‘volé’ la place qui lui était due et que leur égoïsme était la cause de son malheur. Car bien vite il s’était rendu compte que jamais il ne battrait ses frères sur un combat où seule la force brute comptait, et qu’ils pourraient lui imposer leur loi. Un sentiment de rancœur grandit dans le cœur du jeune Loufrul, et un profond individualisme. Mais les mauvais traitements lui enseignèrent assez jeune à mieux esquiver les coups, à devenir plus agile et à mieux se servir de sa tête pour se sortir des situations difficiles.
On pourrait conter un grand nombre d’anecdotes cocasses sur ses premières années de vie, comme lorsqu’il usait d’une grande ingéniosité pour voler un peu du repas de ses frères et sœurs pour espérer être plus robuste en pensant naturellement que ce n’était que justice, puisqu’ils l’avaient eux même volé dès leurs premiers instants de vie. Ou comment il avait appris à forcer la serrure du garde-manger avec de simples os de poulet.
Lorsqu’il atteint sa dixième année, le rite du guerrier, marquant le passage à l’âge adulte, fut pour lui l’occasion d’une nouvelle humiliation. Rarkmar, au lieu de lui remettre une large épée, ou une grande hache bénie par le shaman, lui remis un vulgaire poignard en riant, prétextant que du fait de sa plus petite taille, il était normal qu’il possède une plus petite arme.
« Femmes dire Ca douba utrr la taille qui compte ! T’inquiète pus ! har HAR hAr har. »
Loufrul était avec le temps devenu insensible à ces insultes, par contre il tenait de son véritable père une soif de réussite. Mais il ne parvint à obtenir une place parmi un groupe de brigands Gorlak qu’en acceptant une part infime du butin. Mais il s'adapta rapidement en apprenant très jeune à voler ses congénères la part qui lui revenait de droit, et même plus. Lorsqu’il était découvert, il orchestrait des tours pendables à ses poursuivants, prenant la fuite et les menant souvent vers des pièges souvent très douloureux, voir mortels. En grandissant, sa taille s’approcha de plus en plus des autres Gorlaks. Et à 19 ans, il atteignait presque 6 pieds de haut, et pesait près de 285 livres après un bon repas. Certes encore légèrement plus petit et léger que les autres, la différence s’était toutefois estompée. Ses yeux ambrés brillaient toujours d’une lueur froide inquiétante, et son visage rappelait toujours autant celui du loup.
Ces mauvais tours et son apparence lui donnèrent le surnom de Loup de Luk’Maar dans certaines contrées étrangères, et il acquis peu à peu une certaine réputation en tant que brigand, et voleur. Ceux qui s’associèrent avec lui apprirent à ne pas le tromper car malgré ses faiblesses au combat, ces capacités et sa malice étaient forts utiles et ses représailles redoutées.
Neuf années s’étaient écoulées depuis son départ, et Loufrul était enfin de retour à Luk’Maar, et il sentit une boule serrer sa gorge en entrant dans cette cité qui avait causé tant d’agitation dans son esprit...
à venir, les croniques de Loufrul, la génèse du Loup de Luk'Maar.